Texte de Charles-Henri Malecot: La Construction du Collège Cévenol

Charles-Henri Malecot

Mes sources :

-       Les mémoires du Pasteur André Trocmé

-       Les travaux de l’historien du village Gérard Bollon

-       Un ancien élève Olivier Hatzfeld qui a écrit en 1995 pour les 50 ans du Collège

-       Les mémoires du Pasteur Edouard Theis

Principales conclusions :

-       La construction a été progressive de 1945 à 1953, en fonction des financements obtenus et des achats réalisés

-       La construction a été participative, donnant lieu chaque été à des camps de travail auxquels ont participé notamment des élèves et des professeurs ; des artisans, des entreprises et des architectes de la région ont été également sollicités

1.     La localisation

Après la guerre, la pérennisation de l’Ecole nouvelle Cévenole est admise par tous, mais deux versions s’opposent :

Olivier Hatzfeld : « Pour la rentrée 1945 on pouvait envisager deux avenirs différents pour le Collège : ou bien on revenait à la situation de 1939, mais en plus grand, car le Collège était maintenant connu, et on pouvait espérer une plus grande clientèle ; dans cette hypothèse le Collège essaierait d’acquérir des locaux au village et ses élèves seraient logés dans des pensions, s’ils n’étaient pas de familles chambonnaises ; ou bien le Collège s’installerait dans des bâtiments neufs à l’écart du village, sur un campus à la manière américaine, réunissant des bâtiments scolaires et des internats. »

La première version est celle défendue par Trocmé, alors que Theis soutient la seconde. Trocmé le reconnait volontiers : « Theis osa ce que je n’osais envisager : il eut la vision du Collège situé au pied de la colline de Peybrousson, adossé aux bois de la commune. J’avais envisagé des solutions beaucoup plus modestes plus près du village. »

Peut-être parce que Theis est marié à une américaine, il a le premier la vision d’un collège de dimension internationale avec un campus à l’américaine…

Trocmé continue : « il fut décidé pour la rentrée de 1945-1946 (donc pour septembre 45) que le Collège devait être logé provisoirement dans des baraques, tout simplement, et nous partîmes pour Washington afin de demander à l’administration militaire américaine de nous en céder un certain nombre. Hélas la veille même de notre arrivée, la vente de ces bâtiments de l’armée américaine avait été gelée. Ils étaient réservés exclusivement aux GI’s rentrant de la guerre et qui affluaient dans les universités. Exportation interdite ! ».

Donc pas de baraques pour la rentrée de 1945, et pas de terrain pour les installer !

2.     Rentrée 1946

C’est en mars 1946 que les premiers terrains sont achetés :

Olivier Hatzfeld : « en mars 1946, monsieur Abel acceptait de céder sa propriété de 3 ha, sis à Chomier…en même temps le service Quaker et le Comité congrégationaliste envoyaient d’Amérique en Suède le pasteur Howell en vue d’acquérir en quelques mois des chalets préfabriqués pour servir aux classes et à l’internat du Collège. »

Les souvenirs d’André Trocmé diffèrent de cette version pour l’achat des chalets :

« A l’occasion de la première rencontre internationale du Mouvement de la Réconciliation à Stockholm, je découvris l’existence de bâtiments préfabriqués dont le Collège avait besoin. Ces maisons très agréables à voir et très confortables pouvaient être montées en quelques jours par des spécialistes suédois en n’importe quel endroit d’Europe. Il suffisait de payer et ce n’était pas très cher. En tout état de cause nous n’avions pas le choix : le France interdisait toute construction civile aussi longtemps que les ponts et les usines essentielles à la vie du pays n’étaient pas rebâtis. Les matériaux de construction étaient bloqués, il fallait donc les importer si l’on voulait échapper à ce règlement… Les Sangree nous téléphonèrent : Achetez ! Theis partit aussitôt pour la Suède. Mais poussé par l’esprit d’économie et le manque d’imagination qui le caractérisent, il avait sous-estimé la générosité américaine. Hélas il commanda les longues baraques monotones de style militaire qui déshonorent aujourd’hui encore l’internat des garçons. »

Alors est-ce le pasteur américain Howell, ou est-ce le pasteur Theis qui achetèrent les premières baraques ? Peut-être les deux ensemble, Howell envoyé par les amis américains pour financer l’achat réalisé par Theis

Dans ses mémoires le Pasteur Theis écrit : « Avec l’aide des Quakers et du Comité Congrégationaliste a été organisé dès l’été 1946 un camp de travail sur le modèle des camps du Service civil international (mouvement international pacifique fondé en 1920). Y ont participé de nombreux élèves des grandes classes du Collège, des étudiants et étudiantes d’Amérique… et des quakers anglais, objecteurs de conscience faisant le service civil de remplacement. Le camp a tracé des routes et préparé les emplacements pour 4 chalets suédois. Tout était prêt à temps pour l’arrivée de Suède des éléments préfabriqués de 4 chalets, que beaucoup s’obstinent à appeler improprement baraques, accompagnés par Joe Howell et un maitre d’œuvre suédois, monsieur Krieg. Tout le monde a travaillé dur sous la direction de Joe et la conduite technique de M. Krieg qui se faisait comprendre par gestes… La construction se terminait quand a eu lieu la rentrée d’octobre. Il y avait deux dortoirs pour l’internat de garçons, nommés plus tard Kaïna et Tagheia, et un chalet de même type destiné à servir de réfectoire et de cuisine. Pendant l’automne, avec l’aide d’élèves, de professeurs et de castors de Saint-Etienne, a été achevé le quatrième chalet, la maison du directeur. » (Castors : personnes se regroupant pour construire eux-mêmes leurs logements avec une technique, un financement et une organisation spécifiques. L’organisation du chantier et la quasi-totalité des travaux étaient effectués par les membres du groupe pendant leurs loisirs.)

Toujours Theis : « Au début de ce camp d’été 1946, Carl et Florence Sangree étaient là. Ils ont constaté que ce qui se construisait sur le terrain Abel serait insuffisant pour la rentrée des classes et l’internat des garçons. »

Revenons à Trocmé : « Les Sangree avaient été atterrés, lors de leur arrivée, par la situation dramatique où nous nous trouvions : même avec les baraques, qui n’abriteraient que 5 ou 6 classes et accueilleraient une cinquantaine d’internes, le collège, qui comptait alors 350 élèves, ne pouvait fonctionner… On se renseigna : les propriétaires de Luquet, une ferme dont les terres étaient adjacentes à notre pré, voulaient précisément se débarrasser de leur bien. Providentiel ! ».

Theis complète : « Les Sangree obtiennent en dons et prêts la somme demandée pour le 15 août. Aussitôt les campeurs ont commencé la transformation de la ferme où dès octobre des salles de classe et les bureaux du collège ont fonctionné, tandis que l’étable était devenue réfectoire et cuisine. Ainsi la ferme de Luquet a été le premier bâtiment en dur du collège ».

3.     Rentrée 1947

Ecoutons Gérard Bollon, l’historien du Chambon : « L’été 1947 est joyeux. Un nouveau camp de travail international soutenu par le Conseil œcuménique des Eglises continue la construction du Collège avec deux nouveaux chalets suédois nommés Cosmos et Bond-Koya. Il a aussi peint les chalets, creusé des canalisations et des égouts, reconstruit une partie de la ferme de Luquet et installé dans la grange un embryon de bibliothèque ainsi que deux salles de classe. L’internat de garçons quitte « les Heures claires » pour occuper les baraques dont on a isolé les cloisons avec des journaux et des copies d’élèves ! On y couche à 4 par chambre dans des lits à étage. Un abreuvoir en plein air capte une source et sert de lavabo jusqu’en janvier 1948.

L’internat de filles se transporte à son tour du Colombier aux Heures Claires. » (donc à la place des garçons, mais elles étaient moins nombreuses…).

4.     Rentrée 1948

Toujours Gérard Bollon : « Le camp de construction de 1948 de fin juin à fin septembre rassemble de très nombreux campeurs. Les travaux concernent la route, la cave de Luquet, un remblai de terre pour établir deux courts de tennis, une esquisse de terrain de sport, beaucoup de peinture et quelques tonnes de lauzes à apporter ou déplacer sur la toiture de Luquet.

Le 30 septembre 1948 tout rentre dans l’ordre pour une nouvelle année scolaire avec un Collège un peu modifié et amélioré. Cette année-là dans un coin de la grange de Luquet est aménagée la plus belle salle du Collège : la bibliothèque. Elle contient dès sa création, grâce à un don du professeur Pettengill, deux mille ouvrages en français, mille en anglais, deux rayonnages d’allemand, et un d’espagnol. »

5.     La construction du « Bati-sco »

Ecoutons Olivier Hatzfeld : « L’édification du bâtiment scolaire a été l’œuvre la plus importante. Le Bati-sco a été construit par des artisans du Chambon, mais les travaux de terrassement avaient été faits pendant les camps de 1951 et 1952. L’inauguration date de la Pentecôte 1953 »

Gérard Bollon, l’historien du Chambon, écrit : « Enfin, le 28 mai 1953 est inauguré le bâtiment scolaire du collège. Y participent, avec les Trocmé et les Theis, les Sangree et les Schomer, le Président de la fédération protestante de France, le pasteur Marc Boegner, le Préfet de la Haute-Loire, le maire du Chambon, Charles Guillon, et de nombreux anciens et amis du Collège. Une plaque commémorative est apposée dans le Hall du bâtiment : Cette maison, construite grâce au travail et aux dons d’un grand nombre d’amis, architectes, ouvriers du Chambon, camps du Conseil œcuménique des Eglises, administrateurs, professeurs, élèves, anciens, parents d’élèves du Collège, Eglises congrégationaliste et presbytérienne, écoles et collèges des USA, service Quaker, association des amis américains du Collège cévenol, a été consacrée à l’éducation chrétienne, internationale pour la paix. »

Vous voyez l’importance de l’évènement par le nombre et la qualité des participants dont le président de la Fédération protestante de France. Et vous voyez surtout la reconnaissance de l’œuvre collaborative, participative, ce que je vous disais au début de mon propos.

On peut relever, parmi les architectes qui ont participé à la construction du Bati-Sco, le nom d’Aimé Malécot.

Suivant le dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier et du Mouvement social, le Maitron :

« Aimé Malécot, issu d’un milieu protestant et politisé, … pendant la seconde guerre mondiale, en liaison avec les pasteurs Trocmé et Theis, il fit de faux papiers pour les juifs cachés au Chambon-sur-Lignon… Après la guerre l’architecte Aimé Malécot construit le bâtiment du Collège Cévenol… ».

Aimé Malécot dessine les plans du Bati-sco, en s’inspirant de l’architecture de Frank Lloyd Wright, architecte américain principal animateur du « Style Prairie », qui promeut des bâtiments en harmonie avec la végétation et les vastes clairières herbeuses, avec la présence de pierre et de bois apparents.

Pour Olivier Hatzfeld, « A partir de cette date, on peut dire que le Collège est installé et qu’il peut fonctionner d’une façon normale. Toutes les classes étant regroupées au Bati-Sco, les chalets, qu’on appelle toujours les baraques, au grand regret de monsieur Theis, sont entièrement disponibles pour l’internat ».

6.     Les dernières constructions

Toujours Olivier Hatzfeld : « Pourtant, les travaux ne s’arrêtent pas là. En 1957, le Collège fait construire dans les bois, au-dessus du bâtiment scolaire, un nouveau grand bâtiment qui abritera, au-dessus des garages, les ateliers de l’enseignement technique, la poterie, une salle de dessin, et plus tard le laboratoire de sciences naturelles et le laboratoire de langues. »

« Le dernier grand chantier auquel les élèves ont participé en masse a été, en 1956-57, la préparation du terrain de sports : à la pelle, à la pioche, à la brouette, et le plus souvent à la main, les élèves ont avec ténacité enlevé pierres et cailloux du terrain et de la piste… »

« A la Pentecôte 1959 est célébrée l’inauguration de l’internat des filles… en même temps a été construite … la maison affectée au conseil des élèves, qui a gardé le nom de Maison Bean, puis la maison du directeur de l’internat, dite maison Perrenoud, et celle de la directrice, ainsi que deux maisons jumelées destinées à des professeurs... »

« Le gymnase fut construit plus tard…il fut inauguré le 31 mars 1971 en présence de nombreuses personnalités, dont monsieur Barrot, député, et Haroun Tazieff. »

En conclusion, vous pouvez constater, comme je vous l’ai annoncé au départ, et grâce à ces extraits des écrits des historiens et participants directs à cette aventure, que la construction du Collège cévenol principalement de 1945 à 1953, et même après, fut participative et progressive, et a permis la réalisation d’un campus à l’américaine, avec internats, dont le premier internat mixte de France, terrains de sport, bâtiments scolaires, pour 10 000 M2 de bâtiments sur 14ha et capable d’accueillir jusqu’à 600 élèves jusqu’au début des années 1990 

Une aventure protestante collaborative qui se termine en juillet 2014, mais ceci est une autre histoire…