En septembre 1945 l’Ecole Nouvelle Cévenole (que j’appellerai ENC) devient le Collège Cévenol, il y a donc 80 ans – le nom sera officiellement déposé en 1946.
Sans l’ENC il n’y aurait peut-être jamais eu de Collège cévenol. C’est bien dans L’ENC que se fondent les racines profondes du Collège dont le rayonnement dépassera largement les frontières pendant de nombreuses années.
Nathalie a démontré l’importance de l’éducation chez les protestants et Monica a décrit les sources pédagogiques qui ont inspiré la création de l’ENC – ce sont deux éléments très importants, constitutionnels de la création de cette école secondaire auxquels vont s’ajouter l’Histoire et l’histoire d’ Hommes qui ont cru en un projet – que l’on peut dire tout à fait utopique à l’époque.
Dès leur arrivée en 1934, Magda et André Trocmé déplorent l’absence de structures secondaires malgré l’importance du nombre d’écoles primaires dans les hameaux et la présence d’un cours complémentaire au Chambon et au Mazet. Ceci oblige les enfants du Plateau à rejoindre les grandes villes les plus proches – les parents en ont rarement les moyens – et donc les enfants abandonnent l’idée de faire des études. Charles Guillon, alors maire du Chambon, avait également dans ses projets l’idée de créer un lycée public à la montagne, d’autres rêvaient d’un établissement protestant, d’une académie huguenote, l’idée majeure était de lutter contre l’exode rural et de retenir les touristes – notamment leurs enfants – bref : réaliser un collège idéal, protestant, où la non-violence et un programme international et pacifiste devaient être au rendez-vous.
Le projet voit le jour, non sans difficultés, Trocmé obtient la nomination d’un pasteur à mi-temps qui sera en même temps directeur de la future école. C’est Edouard Théis que Charles Guillon va convaincre et qui présente toutes les compétences recherchées : pasteur, ancien directeur d’école normale au Cameroun, objecteur de conscience, très cultivé, discret, persévérant.
Leur pragmatisme est étonnant : Il y a suffisamment de pensions et homes d’enfants pour accueillir les élèves venant de l’extérieur et quelques salles dispersées dans le village feront office de classes. L’ENC « école sans les murs » ouvre donc en septembre 1938 : il y a 18 élèves qui suivent également le cours complémentaire et 4 professeurs pour l’enseignement des langues :
- E. Théis pour le latin/grec, Mildred Théis, américaine pour l’anglais, Melle Hoefert, réfugiée autrichienne, pour l’allemand, et Magda Trocmé pour l’italien
1939
La guerre est déclarée le 3 septembre. L’école est déclarée officiellement à l’académie à la rentrée de septembre 1939, comme école privée géminée (mixte).
L’Histoire va alors entrer en jeu et donner une dimension exceptionnelle et inattendue à l’aventure de cette nouvelle école. L’ENC va devenir le cœur de ce que sera le refuge sur le Plateau mais ne va pas déroger à ses principes de base : une éducation chrétienne, internationale et pour la paix - sans pression et sans prosélytisme (le précise Gérard Bollon dans son ouvrage sur le Collège).
Les pensions restent ouvertes. Des touristes, dont des juifs, décident de rester et parmi ceux qui sont mobilisés certains laissent épouses et enfants. Je peux citer l’exemple de Robert Gamzon, fondateur des éclaireurs israélites de France, en vacances au Chambon avec sa famille et sa mère. Il laisse ses deux enfants avec leur grand’mère et repart à Paris avec son épouse. Ils les récupéreront en 1944 pour passer en Suisse.
1939-1940
C’est une quarantaine d’élèves et d’autres enseignants qui arrivent : Melle Pont, professeur à Strasbourg, va co-diriger l’école avec E. Théis, Mr Dreyer en mathématiques, Melle Grétillat qui ouvre une section Math élem, Mlle Wavres pour les Lettres. A. Trocmé démarre une classe de philo qui sera reprise par Mme Lavondès. Les réfugiés commencent à arriver, quelques alsaciens, quelques juifs français. Il n’y a toujours pas de budget pour construire des bâtiments. Les cours ont lieu dans la salle annexe du temple, l’hôtel Sagnes, la pension Barraud, la pension Charra, les greniers de la pharmacie Déléage, l’épicerie Riou-Bollon. Les enseignants n’ont pas l’assurance d’être rémunérés. Les pensions se transforment en internats de garçons comme les Genêts cote de Molle - et « les heures claires » pour les filles, d’autres seront mixtes.
Le succès est immédiat – des familles protestantes des grandes villes envoient leurs enfants pour les mettre en sécurité – enfants de pasteurs et de la haute société protestante vont côtoyer les enfants du pays et les enfants juifs français et étrangers. Le nombre ne cessera d’augmenter jusqu’à la fin de la guerre. 150 en 1940 puis 250 en 1941, puis 300 en 1943 et 400 en 1944.
Sur cette période de la guerre de 1939 à 1945 on recense environ 200 jeunes juifs qui connaîtront l’école nouvelle cévenole.
On sait que la majorité des réfugiés juifs arrive à partir de 1942 : tout d’abord des juifs étrangers sauvés des camps d’internement et hébergés au Coteau fleuri, à la Maison des Roches, aux Grillons et dans les maisons du Secours suisse. Ceux qui sont en âge d’être au lycée suivent les cours de l’ENC même s’ils ne parlent pas français.
A partir de la fin de l’année 1942 jusqu’au printemps 1943 de nombreuses familles juives françaises arrivent avec leurs enfants. Souvent elles ont entendu parler de l’ENC dans les réseaux protestants et n’hésitent pas à venir se réfugier à la montagne, assurées que leurs enfants ne vont pas interrompre leur cursus scolaire. Les réfugiés situés au Mazet ou autour du Chambon et ceux qui en avaient les moyens mettaient leurs enfants en âge d’aller au lycée dans des pensions situées au Chambon.
D’autres enseignants arrivent, eux-mêmes réfugiés, tels Olivier Hatzfeld (histoire), Yvonne cerf-Lambert de Marseille, André Hano (prof de lettres à Henri IV) Daniel Isaac (histoire, fils de Jules Isaac) Georges Vajda (philosophie)
Ambiance générale et principes de conduite
Les conditions d’enseignement sont rudimentaires comme le mobilier, le chauffage souvent inexistant en hiver, pas de laboratoire pour la physique-chimie et les sciences naturelles et les mêmes conditions communes à tous – la faim souvent et le froid. Les élèves restent en général dans leurs salles et ce sont les professeurs qui se déplacent d’une classe à l’autre. Magda Trocmé, femme très active et donc débordée donnait parfois ses cours d’italien dans sa cuisine et demandait aux élèves d’éplucher les légumes tout en parlant italien.
L’harmonie pédagogique devient implicite et se fait par petites touches, en avançant.
Malgré les difficultés inhérentes à la guerre avec son chapelet de drames personnels, les difficultés de ravitaillement, le nombre croissant de réfugiés juifs, la menace de rafles, jusqu’à la création des maquis, l’école et ses enseignants maintiennent une certaine discipline :
- On arrive à l’heure, on apprend ses leçons, on fait ses devoirs, – bien travailler est un acte de résistance.
Ce que disait une publicité pour l’école :
« Le but de l’école était de former des caractères en même temps que des intelligences, favoriser le libre épanouissement de la personnalité et permettre aux élèves de faire des études sérieuses sans surmenage et passer les examens officiels. »
Les langues et l’éducation physique occupent une place prépondérante ainsi que la pratique du scoutisme.
Le classement des élèves est interdit mais les élèves ne doivent pas tricher selon le code d’honneur. Les contrôles en classe se déroulent parfois sans surveillance. On favorise l’entraide, la responsabilité.
Il n’ y a pas d’estrade, pas de cours magistral, les professeurs sont proches des élèves et participent aux nombreuses sorties dès les beaux jours. … c’est une vie intense qui est partagée entre personnes d’horizon très différents.
Tous les mercredis matin un culte était destiné à tous les élèves et enseignants – ceux qui le voulaient – où ils chantaient la Cévenole et écoutaient les paroles rassurantes des pasteurs – souvenir très précis d’anciens réfugiés.
Un groupe d’une vingtaine de futurs théologiens « les futhéos » de l’Ecole préparatoire de Théologie de Saint-Germain-en-Laye est venu se réfugier au Chambon. Ces futurs pasteurs s’intègrent à l’ENC et servent d’encadrement pour les plus jeunes. Le 10 août 1942 on suppose que ce sont eux qui transmettent la célèbre lettre à Georges Lamirand, secrétaire d’Etat à la Jeunesse du régime de Vichy, premier acte de résistance civile …. Lettre symbole de ce 10 août, que nous écouterons en fin d’après-midi au temple.
Malgré les principes de non-violence portés par les pasteurs la création des maquis sur le Plateau va questionner plus d‘un élève. En 1944 une partie d’entre eux veut prendre les armes et va entrer dans le maquis… et participera aux combats de libération de la Haute Loire.
D’autres réfugiés rejoignent la France libre en 1942 à Londres ou en Afrique du Nord – ex l’enseignant Daniel Isaac et parmi les élèves Walter Jakubowski, 17 ans, part à Londres, participe au débarquement et à la guerre jusqu’en Allemagne puis revient au Chambon pour passer ses bacs en 1946 et 1947.
Le premier baccalauréat se déroule en 1944, pendant les combats de libération de la Haute Loire - uniquement à l’écrit au Chambon - les élèves sont surveillés par les instituteurs sous la supervision de Georges Canguilhem, alors professeur à l’université de Clermont-Ferrand, qui est en même temps résistant et réfugié avec sa famille à Mazalibrand – en 1945 le bac aura lieu au Puy… les élèves sont emmenés en car par Magda Trocmé... 2 sur 20 réussissent pour la classe de philo et 7 sur 15 en classe de mathématiques (dont le fameux Alexander Grothendieck)
Après la libération du Chambon, l’atmosphère se détend jusqu’en 1945 où pendant l’été les réfugiés repartent : c’est un grand nombre d’élèves et d’enseignants qui quittent l’ENC.
Ceux qui ont témoigné après la guerre diront combien il leur a été difficile de s’adapter dans les lycées aux normes classiques, combien l’ENC leur a sauvé la vie et donné les plus pages de leur vie,
Les EIF – éclaireurs israélites de France – dont leur branche clandestine la sixième qui a tant fait pour sauver les enfants – organisent leur premier camp à l’issue de la guerre au Chambon… 2000 EIF sont rassemblés et installés tout autour du village pour honorer la mémoire de tous ceux d’entre eux qui sont tombés en résistant ou qui ont disparu en déportation.
L’ENC va survivre à ces années noires et devenir le Collège Cévenol qui va se construire en dur… Les éléments des conditions de cette fondation vous seront racontés dans un moment. Puis nous accueillerons Olivier Abel, éminent spécialiste de Ricoeur, pour nous parler de ses années au Collège cévenol à partir de 1945.